Voici un texte écrit en 1993 et dont il ne faut pas suivre l'exemple.                                            Retour Spéléo

Vous connaissez sûrement l'expression du docteur qui fume comme un sapeur et qui dit à ses patients : "Faites comme je vous dis, pas comme je fais".

Gariote de berger dans le Lot

Il y a un peu plus d'un an, mon ami Pierre (le chanteur), au cours de mon premier séjour spéléo, m'a conduit devant un gouffre, qui aux dires de celui-ci et de la "publicité" bétonnée devant, était un monstre de trou. Le gouffre de Planagrèze, Plana pour les intimes. Lorsque j'ai vu la gueule du monstre, je lui ai dis : "Jamais tu ne me verras descendre là-dedans, jamais, jamais". Pour moi, la spéléo que je voulais faire était celle du "gâteau", entendez par là celle des concrétions et, qui plus est, faciles à atteindre, du genre Facteur, Combes, Mathurin, Geniez. Mais les verticales, holà ! Ça me faisait froid dans le dos rien qu'à y penser. Quand on me parlait du Drapeau : "Ca fait combien de mètres ? Ha bon, on verra !" Déjà que le Cuzoul de Sénaillac m'impressionnait !... Et puis, bizarrement, mes premières descentes ne se sont pas trop mal passées, de l'appréhension devant les trous, mais pas d'hésitation (bien que lorsque l'on se penche devant l'Igue Noire, ça fait quand même quelque chose).

La confiance dans le matériel ? Pas de problème, de toute façon, c'est la clé du reste. Puis, j'ai appris à équiper, pour quelqu'un qui n'a jamais su faire un nœud j'étais content. C'est vrai que je ne laisse pas refroidir la machine car depuis un an ça fait la septième fois que je viens. Je commence à croire que je suis né ici.

Petit à petit a disparu en moi l'appréhension, du moins pour ce qui est des trous que je connais. Il y a donc eu le Drapeau, l'Igue Noire, Viazac, encore un monstre qui n'en est pas un, mais qui est d'une beauté que seul connaissent ceux qui y sont allés. Et un jour est arrivé Plana ! La différence, c'est que Plana il y avait plusieurs mois que je voulais le faire; comme les gens changent ! Un matin, avec Jean-mi et deux autres amis, on a fait Plana, jusqu'à la rivière de moins 110. Techniquement, c'est plus vite fait que l'Igue Noire et bien plus facile, comme quoi il ne faut pas écouter tout ce qui se dit sur les abîmes obscurs. A mon précèdent séjour, nous avons refait Plana, encore jusqu'à la rivière. Cette fois ci, je suis seul à Caniac et j'ai voulu voir mes réactions face au vide et à la solitude. Je sais, ce n'est pas bien de descendre seul, ce n'est pas prudent du tout. En fait, je n'étais pas complètement seul, car pendant que j'étais dessous, dessus toute une famille, des grands parents jusqu'aux petits enfants, veillait sur moi. Famille autochtone dont le nom commence par un A, peut être devinerez-vous. Ma première descente se fit à l' Igue du Drapeau, histoire de voir ma réaction. Conclusion : pas de problèmes, on peut poursuivre l'expérience. Le deuxième jour était particulier car il était dans mes pensées de faire la visite du monstre du début de l'histoire : "Plana". Seul c'est de la folie très certainement, jusqu'à la rivière, cela ferait la troisième fois, bon !, je connais bien le réseau, donc à priori, c'est jouable. Mais, car il y a un mais, j'avais mis dans mes "papiers" d'aller un peu plus loin, juste un peu,  jusqu'au lac ! Pour ce faire, deux problèmes majeurs pouvaient me bloquer, d'abord la totale méconnaissance des lieux et de l'équipement après la rivière, et l'inévitable nécessité de véhiculer 300 mètres de corde avec quarante amarrages...........

Trois heures après mon départ, arriva la cote moins 184 mètres du lac, qui est à ce jour mon record de profondeur. Il me fallut encore trois heures et demi pour rejoindre le plancher des moutons... Je n'ai nullement l'impression d'avoir réussi un exploit, et sans doute certains penserons comme moi, d'autres peut être ne croirons ce texte que difficilement, mais ce n'est pas grave car la victoire que j'ai eu en touchant l'eau, on ne peut pas me la voler.

Durant les derniers mètres de la remontée, j'ai connu ce que certains amis m'ont parfois dit et que j'avais un peu de mal à comprendre, à savoir le ras-le-bol de la spéléo car, à ce moment là, on n'a pas la notion de "l'exploit", si tant est que s'en fusse un. Je pense aussi à un ami qui, voyant sortir de Plana trois malheureux éreintés par la fatigue, les acheva en leurs disant qu'un copain venait de le faire en solitaire.

Le lendemain, je voulais faire Viazac, seulement jusqu'à la galerie Martel, je ne connais pas plus loin, mais la fatigue du moment m'a dissuadé et j'ai bien fait de ne descendre que deux petits trous de moins quinze. Car, dans le feu de l'action, on ne se rend pas bien compte que l'on puise dans les réserves. De toutes les façons, on a mal partout, jusque dans les articulations des doigts, preuve que tous les muscles fonctionnent à cent pour cent. Une chose est sûre, malgré la fatigue rencontrée lors de la remontée, à la sortie, il y avait sûrement une lueur dans mes yeux. Quand je revois le sport que je faisais à l'école primaire, ou durant cinq ans je n'ai jamais réussi à grimper les deux mètres cinquante qui séparaient le sol du plafond du préau, sans doute fus-je le seul, et, quand à l'armée, je dus monter à la corde jusqu'à quatre mètres; en espérant y arriver, je me disais "Heureusement qu'ils ne m'ont pas dit d'aller jusqu'aux six mètres" car j'en étais incapable. Aujourd'hui, je pense que j'ai bien progressé, même si je me demande parfois si tout ça est bien réel.

Force de tout cela, il est de grands moments, lorsque vous entendez la corde tomber dans l'eau, sans la voir, puis lorsque l'eau n'est plus qu'à trois ou quatre mètres. Il est d'autres GRANDS moments quand par exemple un ami vous dit qu'il aurait aimé vivre les instants que je lui conte. L'écriture de cette phrase me fait encore frémir. Il est aussi des sensations d'angoisse et d'étouffement quelques heures après la sortie. Et si j'avais laissé tomber un mousqueton, et si la panique m'avait envahi, et si je n'avais pas fait de nœud en bout de corde, et si, et si, et si, ... Pourtant sous terre, j'avais le même comportement que lorsque je traverse une rue, bien qu'il soit probablement plus délicat de traverser une rue en ville que de faire de la spéléo ... Parfois quelques interrogations. Quel est le bon chemin ? Où vais-je atterrir ? Où sont les spits ? C'est surtout à la première question que je dois garder la tête froide et avoir le maximum de lucidité. La solitude, pour la côtoyer souvent, elle ne m'a pas posé de problèmes sous terre.

Le gain d'une telle expérience est extraordinaire. Même si ce n'est pas comparable, je comprends ce que peut ressentir parfois un marin qui fait une transat en solitaire et je revis et revois certains moments de ma descente en suivant leurs exploits, car eux, en font vraiment.

Pour conclure, je tiens à remercier mes "anges gardiens", et à déconseiller à quiconque d'en faire autant car pour tenter ce genre de gouffre tout seul, il faut s'en doute avoir un "pet-au-casque" !...

P.S.: En refaisant la copie de ce texte et, au risque d'angoisser ceux qui viennent de le lire, plusieurs années après, je ne peux promettre de ne pas recommencer cette folie......Sauf persuadeur (ou deuse) performant !!!

C.Marandeau. 

Nota : Planagrèze signifie la grèze plate, la grèze est la terre inculte.

 Sortie de Plana.

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